Approches comparées : harkis et Franco-indochinois

Retranscription de l'entretien de henri CAZES avec Melle Salima NAIT AHMED
(extrait du passage de sa thèse de DEA qui intéresse le CAFI).

1. Le problème de la " concurrence des victimes " : des politiques à plusieurs vitesses

Dans l'option d'une reconnaissance pleine et entière des revendications des associations de harkis en France, se pose la question d'une éventuelle relance d'une " concurrence des victimes " . L'exigence de justice réparatrice amènerait ainsi comme effet pervers que la reconnaissance de la souffrance passée d'une communauté, lèse automatiquement toutes les autres victimes des communautés non reconnues. La reconnaissance aurait ainsi pour défaut de consacrer les déséquilibres d'une configuration sociale donnée, plutôt que de faire œuvre de justice.

2. Les différentes lois qui prennent acte aujourd'hui de crimes contre l'humanité en France depuis les années 1990 (loi Gayssot, Taubira, loi sur la reconnaissance du génocide arménien) pourraient ainsi avoir le défaut de souligner l'inégalité des victimes. En effet, dans le cas des harkis, c'est l'action de plus de 140 associations aujourd'hui qui, en liant leurs revendications à celle des associations de Pieds-noirs, ont obtenus des résultats significatifs en matière de rétributions matérielles et aujourd'hui une amorce de reconnaissance symbolique.

Si l'on prend l'exemple de la communauté des rapatriés d'Indochine, qui a subi une situation similaire à celle des harkis (massacres des supplétifs d'Indochine, accueil prolongé dans des camps de transit), on observe une différence très importante en matière de reconnaissance. Les rapatriés d'Indochine ne formulent leurs revendications qu'à travers une association, " Mémoire d'Indochine ", qui regroupe environ 500 membres à travers toute la France , et ne font quasiment pas l'objet de médiatisation. La population rapatriée d'Indochine représentait en 2002 44 164 personnes . La population accueillie dans les camps devait représenter environ 5000 personnes . Cette population est accueillie dans des " baraquements rebaptisés centres d'accueils " . Bias, " ancienne caserne désaffectée transformée en prison pour soldats allemands, puis en camps pour regrouper les ouvriers vietnamiens non spécialisés afin de mieux les neutraliser en cas de rébellion " , accueillera ces rapatriés comme il accueillera plus tard des harkis. Les camps de Noyant et Sainte Livrade seront aussi d'autres centres d'accueil.

Aujourd'hui l'association " Mémoire d'Indochine " demande une rétribution similaire à celle dont ont bénéficié les harkis en 2005. La loi de février 2005 n'a en effet rien prévu pour cette catégorie de rapatriés. Selon l'association, c'est ainsi la reconnaissance des aînés arrivés d'Indochine, qui ne pourra pas avoir la portée qu'elle aurait pu avoir. Ce serait " trop tard " pour ces rapatriés , l'intérêt étant désormais de limiter les " dégâts " pour les secondes et troisièmes générations. Les problèmes se posant pour cette communauté sont très similaires à ceux des harkis. Une différence majeure réside en revanche dans l'origine de cette population. Il ne s'agit pas exclusivement de supplétifs rapatriés d'urgence, de rescapés : la plupart des supplétifs ont été massacrés par le Vietminh ou sont restés au Vietnam. La question de la mémoire de l'exil se pose donc différemment pour les rapatriés d'Indochine. Il s'agit d'une population de couples mixtes franco-indochinois et leurs enfants. Cette population se distingue par une position précaire et a été accueillie en 1956 dans des camps de fortune. Cette population se caractérise souvent par une méconnaissance de la langue française chez le conjoint d'origine vietnamienne. Le cas des femmes seules, ayant perdu leur mari en Indochine est le plus délicat. D'après l'association " Mémoires d'Indochine ", la quasi-totalité des veuves de soldats n'auraient jamais touché de pension particulière. Les moyens de subsistance dans ce cas se réduisent le plus souvent aux allocations familiales et aux revenus médiocres de la cueillette au bénéfice les agriculteurs de la région, avant le minimum vieillesse.
L'association Mémoire d'Indochine, semblait en 2002 espérer que le cas de cette population puisse être évoqué dans l'annonce par le premier ministre Raffarin de " régler " la question des rapatriés. La déception l'a néanmoins emporté comme l'exprime Henri Cazes, un des membres de l'association : " lorsque Chirac est revenu il a nommé Raffarin comme premier ministre et M. Raffarin a sorti un communiqué, disant qu'il voulait faire un texte de loi qui réglerait de façon définitive cette question des rapatriés, (…) dans ce communiqué il évoque la mémoire de la France d'Outre Mer et curieusement l'Indochine n'a pas été du tout mentionnée, il évoque la mémoire d'Outre Mer en Algérie, en Afrique du Nord, peut être en Afrique, mais curieusement en Asie rien pour les rapatriés d'Indochine (…) Il fallait quand même que nos parents qui habitent toujours dans ce camps [le camp de Sainte-Livrade] ne soient pas oubliés ". Plutôt que l'ignorance totale de l'Indochine, le rapport Diefenbacher laisse plutôt entendre que ses rapatriés s'en sortent très bien. Pourtant le député du Lot et Garonne connaît sûrement l'existence d'un camp de " franco-indochinois " à Sainte Livrade, dans sa région. Sur le rapport du député, Henri Cazes poursuit : " sur les rapatriés d'Indochine il n'y avait que cinq lignes et dans ces cinq lignes il disait que les rapatriés d'Indochine ne posaient aucun problème, et voilà (…) puis on fait comme si on était parfaitement intégré, or, depuis cinquante ans, l'existence même du camps à Sainte Livrade constitue la preuve, la preuve évidente que ce problème est toujours présent ". Ainsi cette population semble " souffrir " d'un " préjugé " positif sur ses capacités particulières d'intégration, qui finalement voilent une situation toute similaire à celle des harkis. Le rapport de Michel Diefenbacher note en effet : " la place qui leur revient devra être réservée aux communautés d'Indochine qui sont arrivées en France alors que le dispositif d'accueil et de réinstallation était rudimentaire, qui ont séjourné elles aussi dans les camps et dont l'intégration sociale et professionnelle constitue une remarquable réussite ". L'association conteste une intégration socio-économique qui ait réglé les problèmes de cette population. Beaucoup d'anciens sont encore à Sainte Livrade et il semble que des problèmes similaires à ceux de la seconde génération de " harkis " persistent pour les enfants des rapatriés d'Indochine. Une scolarité en vase clos au sein des camps, des problèmes de chômage, des difficultés avec la population d'accueil étonnée de voir arriver ces " Chinois ", sont autant de problèmes tout à fait comparables à ceux connus par les harkis. Mais le travail de " chinois " étant sans doute plus méritant que celui de " harki ", le préjugé positif réussit à saper les revendications sociales persistantes d'une poignée d'enfants de rapatriés d'Indochine.

La position particulière de l'Algérie dans les mémoires, semble par ailleurs favoriser le discours de la détresse de ses exilés, " particulièrement démunis ", selon M. Diefenbacher. Des paragraphes entiers sont consacrés à l'Algérie et aux harkis. Ils sont sans doute légitimes du fait de la situation effectivement particulière de l'Algérie, seule colonie de peuplement dans l'ancien empire. Néanmoins, la mise à l'écart de populations dont la situation socio-économique est fort similaire, semble être le signe que le poids de la mémoire particulière de l'Algérie, et le poids des associations, ait joué plus que les considérations éthiques sur les droits fondamentaux et le traitement juste pour tous les rapatriés, quelque soit leur origine géographique ou ethnique. Si les difficultés des familles prises individuellement peuvent être similaires, Trinh Van Thao note que " le rapatriement des Français [d'Indochine] n'avait pas atteint à l'époque l'ampleur d'un événement national qui obligeât le gouvernement à consentir des sacrifices budgétaires comme ce fût le plus tard lors du retour des français d'Algérie "

Il semble alors que les politiques de reconnaissance " ad hoc " engagées aujourd'hui ne représentent qu'une configuration sociale de poids des victimes, à travers une activité de lobbying, tandis que l'exigence d'égalité reste toute relative. Ainsi ce n'est pas le traitement juste qui prévaut mais la reconnaissance de pressions sociales grandissantes.
On pourrait alors affirmer que l'engagement plus ou moins actif dans le lobbying reste le " choix des groupes ", et ainsi que la politique de reconnaissance répond à des demandes plus ou moins fortes et respecte ainsi un équilibre de justice dans un contexte libéral. Néanmoins ce serait nier que des groupes sont défavorisés de facto par leur nombre restreint ou par l'absence d'alliance possible avec d'autres groupes (sur le modèle harkis - Pieds-noirs par exemple).

Si comme l'affirme Tocqueville " la liberté d'association est devenue une garantie nécessaire contre la tyrannie de la majorité " , elle n'est pas pour autant la garantie de l'équité pourtant au cœur de la démocratie. C'est ce que tend à exposer notre perspective comparative. Il semble que la reconnaissance des harkis soit le fruit d'un combat, qui soit passé notamment par l'action des associations. Néanmoins le poids électoral des harkis et leurs enfants est sûrement un des éléments de réussite de cette prise en compte nouvelle par la politique. Des études ont montré que les harkis et leurs enfants ont un taux de participation aux élections supérieur à la moyenne . Aussi bien au niveau local -puisque les harkis sont concentrés dans certaines régions -qu'au niveau national, les harkis et leurs enfants représentent une manne électorale d'environ 154 000 personnes selon le rapport Michel Diefenbacher . Si l'on ajoute la possibilité pour les leaders politiques de proposer un discours " multiprise ", selon l'expression de Philippe Braud, qui puisse regrouper sur le thème de l'Algérie tous les rapatriés, la population à sensibiliser est bien plus importante. On y ajoute ainsi les Pieds Noirs et les autres musulmans " pro-français ", et dans une moindre mesure leurs descendants qui auraient pu être sensibilisés sur ces questions du traitement des harkis et des rapatriés en général. Outre la pression objective des associations de harkis et leurs éventuelles alliances avec les autres associations de rapatriés, la perspective électoraliste du problème offre une autre raison à cette fin du silence sur le traitement des harkis.

Une perspective plus " éthique " de la démocratie, qui admet l'importance des associations pour la dynamique démocratique, pourrait ainsi considérer avec plus d'attention les groupes exprimant des exigences d'égalité des droits. Comme le note Will Kymlicka , répondre aux pressions sociales les plus influentes, revient à s'empêtrer dans une actualité à courte vue partant des buts visés par ces mouvements. Sans vue globale du traitement juste, et sans doute, sans vue comparative, il ne sera pas possible de formuler des critères en lien avec le progrès moral des sociétés. Selon le philosophe, l'évaluation des confrontations sociales actuelles " exige une appréciation du potentiel normatif contenu dans certaines revendications visant un changement, qui ne promettent pas seulement des améliorations à court terme, mais laissent espérer également un relèvement durable du niveau moral de l'intégration sociale ".
En soi la configuration des groupes n'a qu'une influence inégale sur les politiques publiques. C'est le volontarisme politique qui est alors seul en mesure de garantir un traitement égalitaire entre les groupes réclamant des réparations.
Contre pouvoir de l'organisation sociale, les associations, peuvent aussi simplement être les béquilles d'une organisation imparfaite sur le plan de l'équité. Les associations qui émanent de groupes culturels particuliers qui partagent pourtant des exigences similaires ont la possibilité de faire front commun pour prévenir les déséquilibres de traitement des questions minoritaires. Elles unissent alors leurs ressources pour prendre véritablement les caractéristiques d'un groupe de pression.

Jeudi 30 mars, 14h
Entretien avec Henri Cazes, membre de l'association, Mémoires d'Indochine

Quel est votre rôle dans l'association ?


A l'origine cette association c'était plus pour faire respecter la mémoire. (…) Au début il y avait des ethnologues, des sociologues qui voulaient relever la mémoire des gens qui étaient arrivés en 1956 en France. Les gens, des gens originaires de l'Indochine mais de nationalité française qui étaient arrivés dans les années 1956- 60. On s'est aperçu, ils se sont aperçus qu'il y avait beaucoup de vieilles personnes, à l'âge de 75-80 ans, qu'il y a toute une partie de cette population qui disparaît, dans ce camps de rapatriés, ce camps de rapatriés il a pas bougé pratiquement depuis 1956, et les gens ont toujours habité, ont toujours vécu là-bas et donc des sociologues qui avaient travaillé sur ce qui s'appelle, ce qui reste de la culture vietnamienne, indochinoise en France. Et la communauté, de cette communauté donc, on a voulu recueillir les témoignages des gens de là-bas. Voilà donc ils sont arrivés là-bas et ils ont recueilli sur cassette comme ça, ils ont questionné une quarantaine de vieilles personnes qui restaient là-bas. Le travail est toujours en cours de décryptage, et, et en 1995-96, lorsque, non c'était en 2002, lorsque Chirac est revenu il a nommé Raffarin comme premier ministre et M. Raffarin a sorti un texte de loi, un communiqué, disant qu'il voulait, qu'il évoquait la question des rapatriés et il voulait faire un texte de loi qui réglerait de façon définitive cette question des rapatriés, donc moi-même j'ai lu ce communiqué et j'ai été choqué par le fait que dans ce communiqué il évoque la mémoire de la France d'Outre Mer et que curieusement l'Indochine n'a pas été du tout mentionnée, il évoque la mémoire d'Outre Mer en Algérie, en Afrique du Nord, peut être en Afrique, mais curieusement en Asie rien pour les rapatriés d'Indochine et c'est ça qui m'a choqué (…)

J'ai adhéré à l'association à ce moment là et j'ai dit qu'il fallait quand même que nos parents, parce que mes parents font partie, habitent toujours dans ce camps, vous voyez, donc qu'ils ne soient pas oubliés, justement, dans une loi générale sur les rapatriés. On a fait une lettre ouverte au premier ministre et après, et en plus ça tombait exactement où le premier ministre justement à demandé au député Diefenbacher, député du Lot et Garonne, de faire un rapport sur les rapatriés, or on est allés voir le député Diefenbacher, juste avant qu'il remette son rapport au premier ministre, et on a pris connaissance de ce rapport. Ce qui nous a beaucoup choqué dans ce rapport, sur les rapatriés, il a beaucoup évoqué les problèmes des rapatriés d'Afrique du nord, les harkis et les pieds noirs : il a évoqué toute la législation qui a été faite en leur faveur et pour ce qui concernent les rapatriés d'Indochine il n'y avait que cinq lignes et dans ces cinq lignes il disait que les rapatriés d'Indochine ne posaient aucun problème, et voilà. Donc nous nous sommes trouvés devant une sorte de… moi-même j'ai eu un sentiment d'injustice, vous voyez parce que la mémoire de nos parents est complètement ignorée et puis on fait comme si on était parfaitement intégrés or, depuis cinquante ans l'existence même du camps à Sainte Livrade constitue la preuve, la preuve évidente que ce problème est toujours présent. C'est là que j'ai sorti les textes de loi, de la loi cadre sur les rapatriés :la loi de décembre 1961 qui sert de cadre de loi générale sur les rapatriés, disons qu'en lisant ce texte de loi, je me suis dit que tout ce qui a été évoqué dans ce texte de loi sur les rapatriés, en général sans spécifier s'il s'agit de rapatriés d'Afrique du Nord, d'Afrique, d'Asie ou d'ailleurs, de l'Inde, des Indes, donc rien de ce qui a été prévu dans ce texte de loi n'a été accordé aux rapatriés d'Indochine, on se demande pourquoi ça n'a pas été accepté pour les rapatriés d'Indochine, peut être parce que nous nous sommes les premiers rapatriés de l'histoire de France vous voyez, parce que les rapatriés d'Indochine sont historiquement les premiers rapatriés de la décolonisation et de ce grave phénomène que constitue la décolonisation qui est un phénomène mondial, vous voyez, pas seulement la France, d'autres pays, l'Angleterre et d'autres pays européens, peut être qu'en 1956, à notre arrivée il n'y avait aucun cadre constitutionnel, vous voyez, nous on était, on est arrivés en France, on était considéré comme des Français comme les autres. Donc pendant cinq ans ce silence, c'est une sorte de couvercle, vous voyez, de couvercle de silence et quand on repense aux difficultés qu'ont eu nos parents pour gagner leur vie pour élever leurs enfants, pour avoir une vie décente en France, moi je me suis dit que c'est pas possible que, il y a une injustice, que la France elle-même, que le rapport sur les rapatriés ne veut pas reconnaître ; On s'est adressé au Premier Ministre qui nous a renvoyé sur la mission interministérielle aux rapatriés, et justement qui nous a renvoyé, on a écrit aux députés, aux sénateurs, qui ont interpellé le premier ministre sur cette question là et le premier ministre nous a renvoyés à M. Mekachera qui est le Ministre des Anciens Combattants chargé de la question des rapatriés et M. Mekachera a répondu au député qui nous a transféré la réponse de M. Mekachera, c'est en gros c'est que, il n'y a pas problème de rapatriés d'Indochine et que l'Etat a fait tout ce qui était possible de faire pour les rapatriés d'Indochine, donc on était pas du tout content, on était pas du tout satisfait de cette réponse et puis donc on a continué. On a tenu une sorte de, comment on appelle ça, je parle de l'association Mémoire d'Indochine, on a tenu une sorte de forum au niveau du sénat même, pour justement évoquer l'histoire de l'Indochine parce que ça correspondait au cinquantième anniversaire de Dien Bien Phu en 2004. Il y a eu des colloques, un colloque a été constitué au sénat sur justement les sites de Dien Bien Phu. On a eu une grande intervention ou on a évoqué ce problème institutionnel et puis on a posé exactement les questions sur ce camp qui est constitué d'anciens baraquements : une vieille caserne militaire qui date de 1934 et qui a été aménagée pour pouvoir recueillir des gens, pour pouvoir héberger des gens. Cinquante ans après ces gens vivent toujours dans les mêmes conditions de précarité, d'insalubrité, ils n'ont aucun confort, ils doivent toujours se débrouiller par eux-mêmes pour pouvoir survivre, ils ne sont même pas propriétaires des logements où ils habitent et la propriété des locaux et du terrain appartenait à l'Etat jusqu'en 1981. En 1981 l'Etat a transféré la propriété de ces locaux et de ces terrains à la commune donc il y a un problème double : celui de notre statut qui se dédouble. Il y a le problème de notre vie dans ces baraques : à quel titre nous y habitions, nos parents habitent-ils dans ces lieux ? Donc directement lié au problème de la raison pour laquelle nous sommes en France ? Comment sommes-nous considérés ? Comment, quel statut avons-nous, est-ce que nous sommes français ? Est-ce que nous ne sommes pas français ? De quel droit ? Quels sont nos droits jusqu'à maintenant ? Jusqu'à maintenant personne n'a protesté, personne, vous voyez, donc c'est nous qui avons levé en premier le problème.

Donc ça c'était avant vous m'avez dit, il y a quatre ans, l'association a été créée avant 2002 …

En 2003 exactement, en 2003 on a fait cette action au niveau du Premier Mnistre, au niveau des députés déjà en 2003 et en 2004 au Sénat s'est tenu ce colloque justement, suite au cinquantième anniversaire de Dien Bien Phu. En avril 54 , à Dien bien Phu, disons que l'armée française a été battue par l'armée de libération du Vietnam et les Français ont été jugés indésirables, donc ils ont été obligés de se réfugier d'abord au Sud Vietnam, ou justement le sort des Français a été beaucoup discuté et finalement l'Etat français n'a pas pu obtenir un accord pour que les Français d'Indochine restent au Vietnam, c'est pour ça qu'on a été rapatriés.

En ce qui concerne mes parents dès que l'armée française a capitulé à Dien Bien Phu tous les gens de nationalité française ont été pris en charge par l'armée et l'armée les a évacué vers le Sud dans beaucoup de camps, dans des camps militaires, dans des bâtiments désaffectés, tout ça…où on avait été présent deux ans et mes parents ont été rapatriés. Ils ont été transférés de Hanoi vers Saigon par avion, par avion militaire, on nous a regroupés et puis on nous a embarqués et puis à Saigon on a vécu deux ans dans la précarité la plus totale. Mes parents étaient sans emploi, sans travail et on était pris en charge entièrement par l'armée, on a été hébergés, nourris par l'armée en attendant de voir notre problème réglé et soudainement les autorités sud-vietnamienne ont décrété que si nos parents voulaient rester il fallait qu'ils abandonnent la nationalité française pour prendre la nationalité vietnamienne, mon père a été français de par sa naissance, nous même nous sommes français, en fait mon père est français bien qu'il soit marié avec une vietnamienne mais elle, ma mère elle est française de par son mariage avec mon père, donc mes parents ne voyaient pas d'autre avenir que, que de quitter le Vietnam et de rentrer en France. On a été pris en charge par l'armée pour notre embarquement, depuis Saigon jusqu'à Marseille.

Donc alors les gens qui ont fait le choix de garder la nationalité vietnamienne, il y a eu des représailles après, ça venait de là ?

Non parce que je pense que la plupart des gens qui opter pour la nationalité française ils sont partis, il y en a qui ont voulu rester mais disons que le régime sud vietnamien n'était pas comparable au régime communiste, avec le régime communiste il y a eu beaucoup de représailles par la suite justement. Par la suite à Saigon, je sais que beaucoup d'enfants d'américains ont subis des sévices des choses comme ça. Mais pour nous, moi je ne sais pas pour les autres mais on était, disons, on était 5000 dans notre cas en 1956, c'est-à-dire des gens de nationalité française mais aussi d'origine vietnamienne de par la mère ou par le père.

Toujours des métis...?

Oui.

Mais alors il y a des gens qui ont opté pour la nationalité vietnamienne quand même ?

Oui, ils sont restés, ils sont restés au sud vietnam. Ils sont restés, ils ont fait leur vie là-bas.

Est-ce qu'il y a des gens qui sans être métis ont pu opter pour la nationalité française, c'est des cas qui sont communs ?

Non pas du tout. Non, non. Parce que vous imaginez dans une situation de guerre comme ça il y a beaucoup de gens qui auraient préféré avoir la nationalité française pour pouvoir avoir la sécurité des choses comme ça, c'est comme au Vietnam, comme à Saigon lorsque les américains ont quitté le Vietnam il y avait beaucoup de gens de nationalité vietnamienne qui sont partis parce qu'ils ont collaboré avec les américains. Mais au Vietnam, la France qui part avec l'armée, les bagages et avec les Français, avec les Français, tandis que les vietnamiens sur place bon, il y a, ça a été réglé, c'est les accords de Genève, avec un gouvernement sud vietnamien et avec un gouvernement communiste Nord vietnamien. Le pays était séparé en deux Etats.

Mais alors ceux qui ont " collaboré " avec la France, qui n'étaient pas du tout d'origine française, les supplétifs, toutes les autres catégories de militaires par exemple.

Il y avait des supplétifs alors là le problème des supplétifs, je ne suis pas très au courant.
Il y en a peut être qui ont pu obtenir la nationalité française mais là je crois il faut faire des recherches historiques.
Il y a certainement eu des représailles. Des gens qui ont collaboré. Mais s'ils sont la nationalité française je ne sais pas dans quelle mesure la France a ou si ils ont la nationalité vietnamienne, je ne sais pas dans quelle mesure la France a pu les sauver d'une certaine manière.
C'était les camps c'étaient des Français. Par exemple il y avait beaucoup de gens d'origine indienne de Pondichéry et qui avaient la nationalité française, et bien qu'ils soient installés au Vietnam qu'ils avaient des femmes vietnamiennes, des enfants métissés, tout ça donc ils ont été rapatriés avec les Français.

Pour en revenir à ce que vous disiez au début, l'association est aussi partie autour, à partir d'une enquête qui a été menée pas des sociologues des ethnologues et qui est toujours en cours.

Oui, elle est toujours en cours, et justement que peut être prochainement on aura la transcription…

Mais alors est-ce que c'était des gens qui étaient touchés personnellement par cette histoire de rapatriement qui ont mis en place cette enquête, comment est venue l'idée vous savez ?

Il y a un livre qui est sorti dans la collection de l'Harmattan sur un reportage, une enquête sociologique sur les rapatriés d'Indochine, mais pas du camp de Sainte Livrade, du camp de Noyant. Et justement cette enquête a été menée dans les années 60, c'est très intéressant, c'est par M et Mme Simon Barou. Dans la collection de l'Harmattan. C'est très intéressant. Simon il a fait une étude sur des adultes, des gens qui sont arrivés en France à l'âge adulte et sa femme, Mme Simon Barou, a fait une étude sur les enfants, l'intégration des enfants en milieu français.

Je voulais revenir à ce que vous disiez un moment donné, c'est que les rapatriés quand ils sont arrivés on les a considéré comme des français comme les autres, est-ce que …

Non justement, c'est à dire que légalement il y avait rien qui disait qu'on était rapatriés, cette loi sur les rapatriés a créé la notion de rapatriés, il s'agissait d'être reconnu comme rapatrié.
On devrait être reconnus, bénéficier des lois spécifiques pour les rapatriés, or quand on est venus on était des assistés…à 100%, donc dans cette population il y avait beaucoup de veuves qui se sont retrouvées souvent avec beaucoup d'enfants et elles étaient d'origine vietnamienne elles ne parlaient pas beaucoup, très très peu le français. Elles avaient beaucoup de mal à être intégrées, on les a reclassées, on a reclassé lorsqu'on a , ça on l'a su plus tard, on a mis dans ce camp des gens qui sont considérés comme absolument impossibles à intégrer, des cas sociaux …

Vous parlez de quel camp, de Sainte Livrade ?

Le camp de Sainte Livrade. Bon mais c'est pour ça que le camps de Sainte Livrade est intéressant, c'est vraiment typique d'un état d'esprit, de la façon dont les gens considéraient les gens. Si on traite les gens de cette façon là à l'heure actuelle comme on les traitait il y a 50 ans et comme on continue de le faire, parce que la question n'est toujours pas réglée, vous voyez. Ça soulèverait d'énormes problèmes de droits de l'homme, de dignité et puis on a vécu pendant des années des années, personne n'a rien dit, donc là-bas à Sainte Livrade ils disaient que c'était la plupart du temps des femmes qui ont perdu leur mari, avec beaucoup d'enfants et qui n'avaient aucune qualification, qui ne parlaient pas français et qui étaient entièrement assistées socialement. Même dans la loi de 1961 ils ont prévu des indemnités spéciales pour les aider, mais là ils n'ont eu le droit qu'au strict minimum, c'est à dire pour les enfants, s'ils ont des enfants, ils avaient droit aux allocation familiales, on leur octroyait le toit l'électricité et l'eau mais quand on considère les conditions, les choses qu'on leur a accordé, les toits c'est quoi, c'est un bout de baraquement, l'électricité, vous étiez entièrement rationnés, on était une dizaine sur un disjoncteur électrique, ça explosait. L'eau, c'était l'eau courante l'eau froide, il n'y avait pas de système d'eau chaude, le chauffage c'était des poêles à bois.

J'avais lu qu'au début il n'y avait ni eau ni électricité …

Si il y avait l'électricité et l'eau mais faut tempérer par le fait que l'électricité était rationnée, par exemple l'électricité était partagée sur un même bâtiment il y avait un seul disjoncteur, le voisin il allume une chaudière électrique ça explose dans tout le bâtiment ; les murs c'était à peine crépis à l'intérieur et puis en ciment. Je me rappelle que c'est ma pauvre grand-mère et moi qui avons récupéré de la peinture, cette peinture jaune verdâtre, pour pouvoir peindre le logement, c'était totalement délirant, nous on était totalement inconscients, on était jeunes, on était trop petit d'abord, et nos pauvres parents, ils connaissaient rien de rien.

Je vous montrerai le texte d'un arrêté concernant l'administration, parce que les gens, dedans n'étaient pas libres, ils ne pouvaient pas faire ce qu'ils voulaient on avait pas droit d'acheter une machine à laver, on avait pas le droit d'acheter même un réfrigérateur, c'était considéré comme du luxe. Mais parce que ça faisait consommer trop d'électricité. On avait pas le droit d'acheter la télévision, je me rappelle les jours des matchs de football il y avait tout le village qui se déplaçait, tout le camp qui se déplaçait au village pour aller regarder le match de football au café du village. Si on voyait ces choses là à l'heure actuelle, mais, la ligue des droits de l'homme et tout, il y aurait de quoi être scandalisé, on était soumis entièrement aux volontés d'un directeur du camp, une administration, qui était mise en place sur ce camp, qui était installée sur ce camp.

C'étaient des militaires, ou… ?

C'était, Oui, le pire c'était des gens comme nous mais qui avaient appartenu à l'armée française…
Les arrêtés venaient du Ministère de l'Intérieur. C'est l'arrêté Morlot, il n'a toujours pas été abrogé. Donc les gens qui se révoltaient contre ça ils étaient priés de quitter le camp, d'aller dehors. Les pauvres femmes, alors donc ils disaient que le seul moyen de subsistance c'était le travail de chef de famille et les allocations familiales, donc quand il n'y a pas d'homme, moi j'ai de la chance, mes parents, il y avait mon père et ma mère, mais mes parents, notre famille était trop nombreuse pour qu'on puisse nous recaser ailleurs, donc on nous a mis là. Et donc je disais que j'ai eu de la chance mon père était encore jeune à l'époque donc il a pu travailler dans les usines de la région pour pouvoir justifier d'un certain nombre d'heures de travail, pour pouvoir bénéficier des allocations familiales pour ses enfants, mais ce qu'il y a c'est que ce que mon père gagnait ça servait juste pour nous nourrir, pour nous habiller pour nous acheter des livres puisqu'à l'école il fallait nous acheter des livres. Pour pouvoir euh vivre un petit peu il fallait avoir de l'argent en plus ma mère a été obligée de travailler, les mères de familles étaient obligées de travailler et la seule possibilité pour eux, surtout pour les femmes du camp c'était de travailler dans les champs. Tous les ans, à partir de avril, dès qu'il y avait des légumes qui commençaient à pousser, on venait, les paysans du coin venaient au camp pour embaucher des femmes pour aller faire la cueillette de légumes dans les fermes de la région.

Il y avait une politique de recrutement d'ouvriers agricoles avec des employeurs qui venaient chercher …

Au lieu d'aller chercher ça maintenant ils vont chercher au Maroc en Tunisie, il y a eu beaucoup de paysans qui se sont enrichis en faisant travailler, je ne les critique pas mais c'était du travail entièrement au noir. A l'époque le SMIC n'existait pas, et puis quand le travail des grandes personnes, des adultes n'était pas suffisant, c'était les enfants de la famille qui allaient travailler, moi-même je me rappelle à 10 ans, ma grand-mère m'a amené avec elle aux champs et puis elle avait plus de 50 ans la pauvre elle travaillait aux champs pour pouvoir gagner de l'argent et à 10 ans, moi, ma grand-mère m'a amené avec elle et j'ai travaillé aux champs avec elle, des journées de 10h, quand il faisait beau, que les journées étaient longues elle faisait des journées de 12h, les femmes faisaient des journées de 12h, à l'époque le SMIC n'existait pas, ils étaient payés à l'heure, mais les premiers salaires, les premiers, je me rappelle les premières paies pour une journée de 10h dans les champs c'était de dix francs. Après 15 francs, 20 francs, vous voyez.

C'était du travail au noir …

Oui, oui, du travail au noir et personne ne disait rien. A l'époque on ne savait même pas si il y avait une législation du travail vous voyez…
A l'époque il n'y avait pas de législation du travail comme maintenant, maintenant il y a le SMIC, l'interdiction de faire travailler les enfants, des choses comme ça, maintenant on n'a pas le droit de faire aller travailler des enfants avant 16 ans 18 ans, alors que avant à 10 ans 11ans personne ne disait rien quand on voyait aller travailler des enfants. Il y a beaucoup de jeunes de ma génération qui ont énormément souffert.

Il n'y a pas eu de politiques d'alphabétisation par rapport aux femmes qui étaient veuves ?

Non mais ces gens là ils sont considérés comme irrécupérables, inintégrables, alors il y avait une assistante sociale, il y avait un service médical, une assistante sociale, mais surtout pour donner une aide de temps à autre, c'est surtout vis-à-vis des enfants. Les enfants, ils les aidaient pour les inscriptions à l'école, pour obtenir des bourses des choses comme ça, mais c'est surtout vers les enfants et pas pour les grandes personnes, mais il y avait une politique telle que par exemple les gens qui étaient considérés par l'administration du camps comme des gens à problèmes des enfants à problèmes et étaient considérés comme des petits voyous, des délinquants des choses comme ça, donc le premier rôle de l'assistante sociale c'était de trouver un centre, une école de correction où on envoie les enfants. C'est comme ça qu'on réglait les problèmes. Les adultes qui posaient des problèmes, à cause de problèmes de boisson autre, vous voyez, on les envoyaient à l'hôpital psychiatrique de la Candélie près d'Agen, donc les gens ils vivent toujours dans un état d'esprit très particulier.

Vous pensez que ça vient d'où cette politique ? Pourquoi on a fait des lois pour les rapatriés en oubliant systématiquement les rapatriés d'Indochine ?

C'est la question que je me pose et jusqu'à maintenant personne n'a trouvé de réponse. Il faudrait lire la réponse de M. Mekachera, bon, pour eux il n'y a pas de problèmes de rapatriés d'Indochine. Mais disons que pour en revenir aux harkis, je trouve tout à fait légitime ce qui été fait pour les harkis tout ça, je suis entièrement d'accord qu'il y a une grosse grosse responsabilité de l'Etat et que l'Etat doit en quelque sorte réparer. Mais nous, l'Etat est totalement, se sent totalement dégagé de toute responsabilité, on a rien a réparer envers des rapatriés d'Indochine, voilà c'est ça.

Il y avait combien de camps en fait, je suis tombé sur pas mal de choses sur Sainte Livrade, vous m'avez parlez du camp de Noyant …

Oui, c'est ça.

Il n'y en avait que deux ?

Il y en a eu plusieurs, il y a des camps qui ont été occupés après par les rapatriés, par les harkis. Il y avait le camp de Rivesaltes, qui est très connu. Même le camp de Bergerac, il y avait même des camps dans la région parisienne. * vous pouvez ajouter : au Canet des Maures dans le Sud de la France, à Sainte Hilaire dans le Centre de la France et même à Issy les Moulineaux. Ce sont des gens qui sont allés…qui ont trouvé du travail, avec le travail on leur a trouvé un logement. Donc ce sont des gens qui ont été recasés qui ont été intégrés forcément par la force des chose, mais pour nous il n'y a rien, rien qui a été fait.

Et vous n'avez pas du tout d'explication, enfin…

Non, justement, pour moi c'est une erreur typique, un cas typique d'aveuglement administratif et institutionnel, c'est-à-dire que pour moi ça tient aussi à la façon dont, dont l'Indochine était perçue à l'époque, puisque ça tient aussi à l'histoire de l'Indochine, à l'histoire de la présence française en Indochine. Et puis ça relève aussi des séquelles de ce qui s'est passé en France dans les années 1939 1945. Enfin tout ça, faut voir ça avec des historiens, quel était le statut de l'Indochine justement pendant le gouvernement de Vichy par exemple, comment elle était considérée justement comment dire ça, quel était l'état d'esprit général des Français qui étaient installés en Indochine, colonies, les Français en Indochine.

Si je comprends bien, ça tient des représentations des coloniaux qui vivent en Indochine

Oui c'est ça c'est à dire que pour la France, c'est-à-dire que les Français d'Indochine ce sont des coloniaux qui sont allés là-bas pour s'enrichir et puis qui, donc qui ont subi les conséquences de la guerre et qui sont revenus en France, la plupart ont obtenu le rapatriement car en France on a dénombré à peu près 40000 rapatriés d'Indochine, et 5000 sont dans notre cas. Je parle des français d'Indochine des centres d'accueil, donc les autres sont revenus avec de l'argent ils ont acheté des choses, ils se sont intégrés, pour eux tout se passe très bien, moi ça m'intéresse pas ces gens là. Ce qui m'intéresse c'est le cas, c'est l'histoire de mes parents, c'est notre histoire à nous.

Il n'y pas de solidarité avec le reste de ces personnes, au niveau de la mémoire déjà ?

La solidarité, oui, oui, la solidarité. Disons que justement ça fait l'objet d'une sorte d'enjeu actuellement, vous savez qu'il y a tout un débat sur la colonisation. Et puis disons c'est un enjeu culturel justement entre les gens qui veulent que rien ne soit changé, qui veulent garder toujours la même représentation et d'autres personnes qui veulent que, vous savez, vous êtes au courant comme moi que le débat sur le rôle positif de la colonisation, vous voyez, donc on rentre en plein dans ce problème là, comment poser notre problème autrement que en faisant le procès de la colonisation elle-même ? C'est ça.

J'essaie de comprendre le lien avec le reste des rapatriés d'Indochine, vous pensez que ça pourrait les gêner qu'on pose ce genre de problème ?

Je pense que c'est ce sont des gens qui sont persuadés, qui sont persuadés, enfin qui reviennent avec une certaine image de l'Indochine, c'est comme par exemple on a assisté à une vision purement militariste de la chose. Ils ne voient pas le problème humain qui est à côté.

C'est quoi en fait cette vision militariste ?

Ça veut dire que ils veulent toujours, ils mettent toujours l'accent sur le rôle glorieux de l'armée, vous voyez sur Dien bien phu ça été une défaite qui est glorieuse pour l'armée française. Qui ne voient pas… pour eux l'histoire ça s'arrête à certaines choses, disons qu'ils ont une certaine vision de l'histoire coloniale de la France. Dire qu'au fond tout ça pour moi aussi est l'une des cause du fait qu'on nous a laissé pourrir dans notre coin comme ça, c'est justement que ce débat sur la colonisation est vraiment… on a été complètement mis de côté.

Ces fausses images de la colonisation est-ce que vous pensez qu'elles étaient portées par le reste de ces rapatriés qui faisaient 35 000 personnes ? Ou alors c'étaient des représentations générales à tous les français, liées à l'Indochine ?

Je pense que c'est ça , je pense que justement ça tient à la représentation qu'ont en général les Français sur l'Indochine, c'est un territoire qui est complètement étranger à la France à l'époque et c'est à peine si Dien Bien Phu, les accords de Genève tout ça leur disait quelque chose aux Français, je me rappelle quand on est venus, quand les familles sont arrivées à Sainte Livrade, quand mes parents ce sont installés avec l'ensemble des gens de notre communauté, on nous considérait comme des chinois, on nous appelaient les chinois carrément. C'est comme par exemple les harkis on disait les Arabes. Voilà c'est ça, nous on était des Chinois.

Vous pensez qu'ils ne savaient pas que vous veniez d'Indochine et pas de Chine ?

On était dans un camp, dans le coin de campagne où on nous a parqués, ça n'intéressait personne, personne ne savait pourquoi vous étiez là…
C'est ça. Parmi nos parents il y en a qui ont du souffrir de cet ostracisme et il y a eu beaucoup de bagarres, l'intérêt de ces études faites par ces ethnologues, ces sociologues c'est faire ressortir ce côté, cette différence, ce que ça veut dire quoi…

Il y a un terme qui a émergé pour vous désigner entre vous ? Votre situation particulière ?

Oui, disons que nous on a conservé notre langue maternelle et c'est une langue qui s'est appauvrie du fait qu'elle est coupée du pays d'origine, donc c'est un vietnamien, mais un très mauvais vietnamien, un vietnamien. D'abord nos parents parlent leur vietnamien à eux, qui est un vietnamien qui date des années 50. Mais nous, enfants, parce qu'on a été à l'école française et dans notre famille on parle le vietnamien comme on peut avec nos parents, c'est une langue qui est encore déformée, c'est une sorte de patois je sais pas comment on appelle ça, on invente des termes qui sont propres, qui ne sont ni français ni vietnamiens qui sont totalement barbares. Donc nous on avait un terme pour nous désigner nous …

C'était quoi ?

C'est, euh, nous on s'appelle entre nous, nous on s'appelle entre nous les " tchêts ". C'est un terme qui n'existe pas. Ni vietnamien, ni français et on parlait comme ça, mais bon c'est comme ça.

Et ce terme il désignait en fait

…Notre condition à nous

Que les gens qui étaient accueillis dans les camps ?

Les enfants, les enfants.

Est-ce que c'est un terme qui est connu des français d'origine vietnamienne ?

Je ne sais pas, je ne sais pas on s'est toujours compris comme ça, c'est pour dire la différence, un écolier dans n'importe quelle école de France il aura des copains, il se sentira Français. Dès le départ il y avait une école qui était, une classe créée dans ce camp, séparée des classes du village. Jusqu'au certificat d'études, mais on n'a pas pu créer ni de lycées, ni de collèges pour nous, alors il a fallu qu'on aille ailleurs quand on devait aller au lycée ou au collège.

Vous savez combien de temps ça a duré ces écoles à l'intérieur du camp ?

Jusqu'en 1978, il y avait encore des écoles maternelles. Donc on vivait une vie complètement séparée et je me rappelle les premiers temps qu'on allait en ville, les gens ils avaient peur, ils se cachaient derrière leurs maisons. Derrière leurs fenêtres. Après ils ont plus eu peur ils sont sortis ils nous appelaient " les chinois, les chinois ".


Références :
Voir : CHAUMONT, Jean-Michel. La concurrence des victimes. Génocide, identité, reconnaissance. Paris : la Découverte et Syros, 2002. 376p. Entretien avec Henri Cazes, membre de l'association. Jeudi 30 mars 2006. D'après le rapport de Michel Diffenbacher, op.cit. p. 6 D'après l'association " Mémoire d'Indochine " VAN THAO, Trinh. " Le retour des rapatriés d'Indochine. L'expérience des centres d'accueil (1954-1960) " in Marseille et le choc des décolonisations (dir. JORDI, Jean Jacques et TEMIME, Emile.) Aix en Provence : Edisud. 1996. p29-38. p. 33 Idem 7 "On sait aperçu, ils [les sociologues] se sont aperçu qu'il y avait beaucoup de vieilles personnes, à l'âge de 75-80 ans, qu'il y a toute une partie de cette population qui disparaît, dans ce camps de rapatriés, ce camps de rapatriés il a pas bougé pratiquement depuis 1956, et les gens ont toujours habité, ont toujours vécu las bas " Voir les ouvrages de Gérard Brett sur la question : La tragédie des supplétifs. La fin des combats 1953-1954. Paris ; Montréal (Québec) : l'Harmattan, 1998 et Les supplétifs d'Indochine, 1951-1953. Paris : l'Harmattan, collection Mémoires asiatiques, 1996. 317p. 99 VAN THAO, Trinh. " Le retour des rapatriés d'Indochine. L'expérience des centres d'accueil (1954-1960) " in Marseille et le choc des décolonisations (dir. JORDI, Jean Jacques et TEMIME, Emile.) Aix en Provence : Edisud. 1996. p29-38. p. 33 10 TOCQUEVILLE, Alexis. De la démocratie en Amérique, Paris : Gallimard, coll. " Folio ", 1986, tome 1. p.291-293, cité dans " Lobbying et vie politique ", numéro spécial Problèmes politiques et sociaux, novembre 2005, n°918, dossier réalisé par Emiliano Grossman, p. 18. Notamment LANVERSIN, Anne. Etude d'une communauté de harkis à Saint-Maximun-La-Sainte-Baume. Mémoire de troisième année sous la direction de Rémy Leveau: Paris : Institut d'Etudes Politique : 1987. 138p. Op.cit. p.14 La citoyenneté multiculturelle, une théorie libérale du droit des minorités. Paris : La Découverte, 2001


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